Paul Leurquin est un directeur d’école dynamique et cherche au quotidien des solutions pour gérer les comportements difficiles des enfants. Pourtant, en plus de 20 ans de carrière, il n’a jamais vu une rentrée académique aussi catastrophique. Sur 4 inscriptions en maternelle, 4 enfants ne savaient pas parler. La cause principale: les écrans. Il tire la sonnette d’alarme pour les parents, mais aussi pour les institutions et les professionnels de l'éducation.
Paul Leurquin est arrivé l’an dernier à la tête de l’école d’enseignement spécialisé le Bois Marcelle, à Marcinelle. Mais il n’est pas un néophyte, cela fait plus de 20 ans qu’il travaille dans l’enseignement spécialisé, et il a fait de la gestion des problèmes comportementaux sont cheval de bataille.
Il a notamment écrit plusieurs ouvrages dont « la chaise magique ». Un outil qui propose des pistes d'intervention pour aider les parents et les spécialistes de l’éducation face à des enfants qui ont des comportements difficiles.
C’est lui qui est venu vers nous, pour nous signaler un phénomène inquiétant.
« J’ai découvert l’enseignement maternel ici au Bois Marcelle, je n’avais pas de maternelle dans mon ancienne école. Lors de l’inscription de 4 nouveaux venus pour la prochaine rentrée, les parents m’avouent un peu démunis que leurs enfants ne savent pas parler. Je sors alors mon gsm et sans un mot les parents acquiescent, leurs enfants qui ont aujourd’hui 4 ans 1/2, 5 ans, utilisent le gsm depuis l’âge de un an pour regarder des vidéos ! »
Ils s'expriment par onomatopées ou disent "Youtube"
Ces enfants n’ont donc pas acquis le minimum requis pour pouvoir s’exprimer correctement. Certains émettent des onomatopées ou savent juste dire « youtube ».
Ce phénomène n’est visiblement pas un cas isolé. Dans l’enseignement « ordinaire », certains directeurs parlent d’enfants qui auraient des traits autistiques.
« Je l’annonçais déjà il y a quelques années, je parlais alors du marasme dans lequel nos sociétés allaient être plongées suite à l’utilisation à outrance du gsm et des écrans. J'espérais me tromper, mais aujourd’hui, je suis alarmé par cette situation. D’autant que certains de mes collègues de l’enseignement ordinaire parlent de traits autistiques chez certains de leurs enfants, mais est-ce vraiment cela ? Je ne suis pas un spécialiste de ce genre de syndrômes mais après analyse, cela pourrait venir aussi d’un manque de communication. »
4 ans pour rattraper le retard !
Le plus souvent, les parents font preuve d’une sincère méconnaissance des dangers des écrans, mais cela ne suffira pas à résoudre le problème.
« Nous devons revenir dans des communications humaines, de personnes à personnes. L’ONE doit dans ses consultations attirer l'attention des parents. Devant des familles comme les nôtres qui se retrouvent démunies par manque de connaissance ou par aisance, puisque quand l’enfant est occupé, on est tranquille, il faut trouver des solutions institutionnelles. »
Apprendre aux parents à redevenir des parents et ce n’est pas facile.
"La société nous demande à nous, écoles, des choses impossibles. Selon, nos logopèdes l’enfant pourrait parler correctement, mais il faudrait 4 ans pour rattraper le retard."
Et peut-être 4 ans de plus pour que ces enfants acquièrent le bagage de vocabulaire nécessaire à l'apprentissage de la lecture.
Au Bois Marcelle, des classes "langage" vont être créées pour tenter de résoudre une partie du problème, mais encore faut-il que les parents jouent le jeu.
« Lorsque j’ai une maman devant moi qui me dit "j’espère que je vais trouver un éducateur, une éducatrice qui va venir s’occuper de mon enfant le mercredi après-midi", je lui réponds qu'il va surtout falloir qu'elle retrouve son rôle de parent. Il faut aussi que les parents arrêtent les écrans, pour eux-mêmes et pour leurs enfants. Lorsque c’est possible, je propose aussi l’internat au moins quand l’enfant y est, il n’a pas les écrans, il fait des activités, du sport, du théâtre, de la natation… ce qui est parfois difficile dans certaines familles. »
Le numérique à l’école ?
Paul Leurquin dans la même logique va même jusqu’à remettre en cause l’intégration du numérique à l’école.
« Du numérique, je trouve qu’ils en font déjà de trop. Alors je sais que je suis excessif, mais je l’exclurai de l’école jusqu’à un certain âge et l’aborder à partir du secondaire pour savoir comment créer un fichier word ou Excell et envoyer un mail. Mais il ne faudra pas 50 heures de leçon, les enfants s’en sortent beaucoup mieux que nous. »
Quand au Métavers, Paul Leurquin n’y voit que des inconvénients et cette nouvelle réalité virtuelle l’affole.
Vers une génération de crétins ?
Aujourd’hui, il faut réagir. Paul Leurquin invite donc chacun à prendre ses responsabilités au niveau politique ou des associations.
« Il faut s’adapter, et si l’on ne s’adapte pas cela va coûter très cher au niveau de l’enseignement et au niveau sociétal. Moi, si je parle pour ma chapelle d’école spécialisée, pour les enfants qui ont des troubles du comportements, et comme un chef d’entreprise, je vais avoir des inscriptions, je ne m’inquiète pas ! »
Mais ce n’est pas l’objectif de Paul Leurquin qui a voué sa vie à aider les parents et les éducateurs à gérer les comportements difficiles et à leur donner les outils pour y arriver.
Quant au directeur de l’enseignement spécialisé, il s’inquiète aussi de la situation de son secteur que l’on veut réduire, il ne sait pas quand il va pouvoir rendre ces enfants à l’enseignement ordinaire, un enseignement qui a ses propres difficultés et ses propres manques de moyens.
Quelle génération les écrans nous prépare-t-elle ? on peut voir venir ou on peut réagir. Paul Leurquin invite donc tous ceux dont c’est le métier à réagir.
Vidéo utilisée pour illustrer l'interview de Paul Leurquin est issue de Youtube, le guide de la famille Tout Ecran :
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